Édito
Dix ans. L'âge de raison, dit-on, mais pour un festival qui s'obstine à montrer ce que d'autres persistent à ne pas voir, la sagesse consiste peut-être justement à rester un peu déraisonnable !
Je suis heureuse et honorée de marrainer cette dixième édition, qui coïncide avec une époque où heureusement les choses commencent à bouger. Car si les inégalités persistent ici et là, force est de constater que le paysage photographique s'est considérablement diversifié. Les femmes ne sont plus ces grandes absentes qu'on déplorait hier encore, même si quelques bastions résistent encore, avec cette courtoisie toute masculine qui consiste à s'étonner qu'on leur fasse remarquer leur entre-soi.
Dans ce contexte renouvelé, je me réjouis aussi de voir s'imposer ce qui fut longtemps relégué au « féminin », je veux parler du beau, du doux, du délicat, souvent soupçonnés de faiblesse ou de frivolité. Comme si la beauté avait toujours dû s'excuser d'exister, suspectée d'être décorative, voire ennemie de la pensée. Or, comme nous le rappelle Corinne Morel Darleux dans “Alors nous irons trouver la beauté ailleurs”, la beauté n'est ni un ornement ni une fuite hors du réel, elle peut devenir un acte de résistance, une manière de tenir debout là où tout chancelle. Et parfois même, elle devient la plus juste des portes d'entrée vers le politique, elle ouvre les regards, elle déplace les sensibilités, elle touche là où les discours seuls ne suffisent plus.
Les cinq photographes réunies cette année en témoignent magnifiquement. Qu’elles interrogent les dérives de l'expérimentation scientifique, explorent les territoires d'Oman, questionnent l'architecture invisible de nos gestes, naviguent dans la complexité féminine, ou alertent sur la disparition de nos oiseaux, toutes font de la beauté un langage d'investigation. Elles prouvent que l'émotion esthétique peut porter les questions essentielles de notre époque. Autant de regards qui transforment la contemplation en questionnement, la sensibilité en acuité politique.
C'est sans doute là que réside la force de la photographie : dans sa capacité à faire émerger du visible une vérité sensible qui engage, qui dérange, qui relie. C'est aussi ce qui guide mon propre travail. À travers mes images, j'explore la place du vivant et la manière dont il est menacé, manipulé ou instrumentalisé. Ces questions touchent autant aux bouleversements climatiques, qu'aux héritages colonialistes ou aux dérives autoritaires. Là encore, la beauté agit comme une manière d'alerter, de questionner et de résister mais aussi de faire rêver, de convoquer les imaginaires nécessaires à l'invention d'autres possibles.
Alors, dix ans pour un festival comme celui-ci, c'est déjà une victoire. Et peut-être qu'un jour, il n'aura plus besoin d'exister, parce que la question de la place des femmes en photographie sera devenue une évidence. Ce jour-là, nous pourrons célébrer non plus un combat, mais simplement des photographies. En attendant, prenons ces dix ans comme une preuve : ouvrir le champ, c'est aussi ouvrir le débat.
Letizia Le Fur
Letizia Le Fur
Marraine pour les 10 ans du festival Objectif FEMMES 2025
Biographie :
Photographe française.
Vit et travaille à Paris.
Diplômée de l’école des Beaux-Arts de Tours en 1998, Letizia Le Fur a initialement été formée à la peinture. Encouragée par l’artiste et professeure Valérie Belin, elle oriente rapidement sa quête esthétique vers la photographie.
Le travail de Letizia Le Fur, entre réalité et fiction, explore les multiples représentations de la beauté. Sa connaissance de l’histoire de l’art nourrit une maîtrise de la lumière et une approche de la couleur proche de celle du peintre. Elle transcende ainsi le réel et ouvre des mondes où le rêve et le fantastique se rejoignent. Sa recherche de beauté n’est pas simple ornement : elle devient une position éthique et poétique. En abordant des enjeux politiques, écologiques et sociaux par ce prisme, l’artiste affirme la beauté et la joie comme actes de résistance face aux tourments du monde.
Lauréate du Prix Paris Je t'aime x Photodays (2023-24), de la Grande Commande de la BNF (2022), du Prix Leica/Alpine (2019) et du Prix Fenêtres ouvertes de la MEP (2020), elle est également choisie comme résidente par le festival Planches Contact de Deauville 2020, par le festival Incadaques 2021 et par le festival Vichy Portrait(s) en 2023.
Nominée au Prix Niepce en 2022.
Son travail fait l’objet d’expositions collectives et personnelles, ainsi que de publications.
Ses livres sont édités par les maisons d'édition Rue du Bouquet, Filigranes et RVB Books.
En parallèle de son travail artistique, Letizia Le Fur collabore depuis plus de 20 ans avec des grandes marques (Van Cleef & Arpels, Air France, Belmond, Barrière, Ruinart, Perrier Jouët, Château Canon, ...) et avec la presse (AD, New York Times, Grazia, Voyageurs du Monde, Les Echos… )
Elle est également ambassadrice Leica depuis 2019.
A droite, la couverture de son nouveau livre.